Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’enclore à quelque endroit de l’espace que l’on voulait tout entier et qui, si petit qu’il puisse être, semblable à la maison de Socrate restera vide comme s’il était grand ?… Allan acceptait ces jours qui se ressemblaient tous, apportant les mêmes choses, les mêmes événements, les mêmes impressions ; jours un peu pâles et sans parfums, — à cela près, peut-être, de quelque vague odeur de violette qui y est restée d’un certain soir où l’on s’attendrit davantage en se parlant, où le baiser s’oublia au front sur lequel il se posa et ne s’attacha pas. — Certes ! s’il eût été touchant de voir Newton, le vieillard sublime, en redescendant du ciel, son habitacle, ramasser — comme il eût fait un monde perdu — une pauvre rose trempée d’un matin trop humide et oublier ses hautes pensées à la respirer tout un jour, il ne l’était pas moins de voir Allan s’enchanter des suavités et des modesties cachées au fond de cette vie retirée et simple. Car, entre cette vie d’un cours si lent et si uniforme et ce jeune homme, à qui une passion avait donné le besoin des émotions variées et fortes, cet homme, si poétiquement organisé pour l’extase ou pour le martyre, qui avait tout imaginé et presque, hélas ! tout senti, il y avait presque autant de différence qu’entre la rose et la pensée de Newton.

Cependant, n’y avait-il que le charme de l’intimité qui entraînât et fixât Allan auprès de Camille ?… Était-ce seulement pour jouir de la douceur de ce bain d’eau douce, après les rudes jours des passions, qu’il s’y plongeait avec ce bien-être ? N’y avait-il pas, en ces effusions muettes ou à moitié parlées qui s’épanchent dans un regard ou s’écoulent dans un sourire, n’y avait-il pour lui qu’une volupté ignorée du cœur ? Oh ! les misères de l’égoïsme n’étaient