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— Oui, vous êtes ma sœur, chère Camille, — lui dit-il, en la pressant de la plus chaste des étreintes.

— Ah ! ta sœur pour jamais, — continua-t-elle comme enivrée. — Tu ne sais pas comme elle t’aime, ta sœur ! Si tu le savais, tu ne pourrais jamais la quitter !

— Mais, aussi, — reprenait le jeune homme attendri, — je ne vous quitterai pas, ma Camille.

— Dis-moi tu, si je suis ta sœur ! — interrompit l’impétueuse créature en l’étreignant à son tour, et à l’étouffer, de ses bras fragiles, comme s’ils eussent été faits de fer.

— Eh bien, non ! ma sœur, je ne te quitterai pas, je te le jure.

— Jamais ! — dit-elle impétueusement, et avec une force qui semblait maîtriser l’avenir.

— Jamais ! — répéta-t-il, entraîné par elle.

Et elle se jeta à son cou, avec une ardeur encore plus grande que la première fois.

Ils étaient attendris et ils pleurèrent, mais les plus douces larmes qui puissent couler. Hélas ! c’était la première joie pure et profonde de l’un et de l’autre. Tous les deux venaient d’engager l’avenir. Moment superbe dans la vie où l’homme dit jamais, comme s’il était Dieu ! Sous l’empire du sentiment le plus beau de tous, — celui de la sœur pour le frère et du frère pour la sœur, — ils avaient échangé leurs âmes. Bonheur inouï, dont Allan jouissait moins que Camille parce qu’il avait déjà usé son âme dans la passion, tandis que l’âme de la jeune fille était pleine de ces ignorances qui rendent apte à tous les bonheurs de la vie, mais surtout aux plus célestes, à ceux-là qui n’habitent que les hauteurs de nos poitrines. Bonheurs candides comme la neige, mais non froids comme elle, qui restent