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Au moment où ils allaient quitter l’Italie, une souffrance pleine d’abattement que ressentit madame de Scudemor altéra les rapports qui existaient entre elle et Allan. Peut-être aussi une aperception tardive avait-elle pénétré dans l’esprit d’Yseult, mais elle ne l’exprima pas. Seulement, elle prit occasion de sa souffrance pour empêcher une intimité qui ressemblait à du mariage comme les hommes l’ont fait, en le profanant. Une impérissable délicatesse ferma la bouche d’Allan à toute question. Entre des êtres distingués il y a, à propos des choses les moins nobles d’une existence en commun, des explications impossibles.

Si les grandes misères intéressent, vous qui lisez, vous pouvez continuer cette histoire… Une pareille souffrance venait bien à temps pour Allan de Cynthry. Elle le soulageait de ce qu’il n’avait pas la force de rejeter. Elle faisait ce qu’un aveu de lui aurait fait plus tôt, s’il l’avait osé. Et, d’un autre côté, la vanité de l’amour, cette vanité de l’amour qui naît lorsque l’amour expire, se trouvait hors de cause. Le malheureux respira. Il avait autant de raisons pour se mépriser ; cependant il se méprisa un peu moins. C’est que l’homme n’a pas le courage de se mépriser longtemps. C’est presque toujours une autre douleur qui rend celle du mépris perceptible. Quand cette douleur manque, le mépris perd son aiguillon d’emprunt et s’endort dans la blessure qu’il a faite.

Une plus grande liberté d’esprit le rendit aimable. On n’est aimable qu’à la condition de n’être pas passionné. Toutes ces ardentes personnalités qui savent aimer ne sont rien moins qu’aimables. Elles troublent la vie des autres plus qu’elles ne l’embellissent. L’amabilité devrait être comptée parmi les Beaux-Arts, avec lesquels elle a