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Italie. Ce n’était pas tout à fait pour Allan la position de ces maris sans amour auxquels il faut, pour n’être qu’hommes, le duvet tiédi de la couche nuptiale. Il n’était pas encore tombé si bas. Il se reprenait à des illusions rapides. Il s’embrasait de ses souvenirs. La contrainte qui le faisait regarder péniblement l’aiguille de la pendule des salons où il passait une partie de ses nuits, n’entrait pas avec lui chez Yseult. Il revêtait en quelque sorte son amour au seuil, mais aussi l’y laissait-il le lendemain. Le jour n’était pas loin, sans doute, où il ne l’y retrouverait plus.

Ce jeune homme ne manquait aucune des mille facettes de l’avilissement. Il se répercutait dans toutes et s’y souriait avec horreur. Comme tout ce qui est jeune, il avait habité dans les régions de l’exaltation, — ces pics vierges colorés de l’éclat astral des pensées nobles et dévouées avec lesquelles on commence la vie, — et maintenant il descendait dans un air bas et fétide, avec une poitrine accoutumée à toutes les puretés du ciel. Où était la poésie de son amour ? Vingt fois elle s’était heurtée aux réalités grossières, mais, enfin, ce n’était qu’une souillure. À présent, l’amour avait fui. La réalité restait seule. Et ce n’était plus la passion aveugle et brûlante qui l’y attachait, mais il ne savait quelle plus lâche faiblesse encore. Il souffrait toujours, mais il n’avait plus même le dédommagement de se regarder souffrir avec la fierté d’un amour sans espoir. Il n’avait plus de généreuses colères contre lui-même, de ces intrépides mouvements à la Caton d’Utique, qui nous font nous déchirer non pas les entrailles, mais le cœur, lorsque nous ne fraternisons pas avec nous. Encore quelque temps de cette vie indigne, et il serait entièrement dégradé.