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I

Avez-vous jamais, vous qui lisez ces pages, voyagé à travers ces marais du Cotentin qu’on a essayé de décrire, et qui sont assez vastes pour que seulement les traverser puisse vous paraître un voyage ?… Si c’est vers la fin de l’automne ou en plein hiver que vous les avez parcourus, vous avez pu juger ce qui appartient à la nature de ces parages, qui coupent sur le fond si riant ailleurs de la Normandie, et à l’originalité mélancolique qui les distingue. Or, c’est surtout l’hiver qu’il faut voir ces marais, devenus des vallées d’eau infinies, désolées, monotones et que rien n’anime plus, sinon les pauvres bateliers, — qui, par tous les temps, tirent au grelin leurs bateaux à tangue le long des chemins de halage, engloutis et couverts par la Douve débordée, — et quelques rares et intrépides chasseurs de sarcelles et de canards sauvages, plongés dans l’eau stoïquement jusqu’aux reins pour ajuster de plus près, sur le gibier qu’ils veulent abattre, les coups de leurs longues canardières. Excepté ces deux espèces de gens il n’y a plus un être humain dans ces solitudes inondées, et s’il y a encore un être vivant, c’est parfois un héron taciturne qui rêve, planté debout dans sa touffe de joncs isolée, ou un