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dait, de là, dans le marais qui s’allongeait et dont les flaques d’eau avaient déjà grandi sous l’action des premières pluies de la saison. Sa simple robe grise, ses cheveux en coup de vent, sa pose inclinée et pensive, la faisaient mélodieusement ressortir sur le fond de cet horizon sans nuage et d’une teinte indéterminée et limpide. Allan, en la voyant ainsi, s’approcha du mur et suivit la direction des yeux de la jeune fille. Ils étaient fixés sur un goëland égaré qui s’en retournait à la mer, car la côte n’est pas loin de là.

— Voyez-vous ? — dit-elle en désignant l’oiseau du doigt et comme si elle eût continué tout haut sa pensée, — il pourrait être ce soir en Italie, s’il voulait.

— L’Italie vous préoccupe donc beaucoup ? — lui demanda Allan, — et vous seriez donc bien aise de vous en aller d’ici ?…

— Oh, oui ! — répondit-elle avec une naïveté charmante. — Vous ne savez pas comme je m’ennuie ici maintenant.

L’expression avec laquelle elle dit cela faisait mal de souffrance cachée et trahie. Cette expression poignante de douceur, Allan ne la lui connaissait pas. Sous l’impression qu’il en reçut :

— Pourquoi s’ennuyer ? — reprit il avec un accent compatissant dans la voix.

— Pourquoi ? oh ! pourquoi ?… — répéta-t-elle, les yeux baissés. On voyait qu’elle était soulagée par la question inaccoutumée d’Allan, mais elle n’osait y répondre. Si l’indifférent Allan avait insisté davantage, peut-être ce qu’elle avait dans son pauvre cœur eût-il échappé à ses efforts pour le retenir. Mais au second pourquoi Allan était déjà parti,