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qu’un accident ordinaire. Pèlerine du monde comme de la vie, elle connaissait trop l’Italie, où elle avait vécu des années, pour prendre le moindre intérêt à ce voyage. Quoiqu’elle n’y fut pas née, cependant ses premières sensations en avaient fait sa patrie ; mais elle n’avait jamais connu ce doux amour de la patrie qui survit à toutes les espérances et à tous les bonheurs perdus, dans les âmes plus tendres que la sienne. Elle n’avait jamais habité que son cœur. L’accuseriez-vous de sécheresse ? Vous ne savez donc pas que l’amour dont elle était privée se compose de tout ce qu’il y a de plus frais dans les premières images de l’existence, et de plus lointain dans les souvenirs ? Pour peu que le vent froid de la vie ait soufflé, il emporte tous ces pastels ! Nature dont la poésie s’en était allée, âme qui s’était retirée des choses, le monde n’était plus un alphabet merveilleux pour elle. Elle ne s’informait pas sur quelles bruyères en fleurs ou sur quelles collines l’air qu’elle respirait avait passé. Questions rêveuses de la jeunesse, elle vous avait oubliées ! Beautés charmantes répandues dans l’univers qui nous entoure, vous n’existiez pas plus pour cette femme que la beauté d’Allan elle-même, à laquelle elle n’accorda jamais le regard caressant d’une contemplation momentanée ! Aveugle d’une espèce étrange, qui ne demandait pas la lumière, il aurait fallu quelque nouvel éphéta de Dieu pour lui rouvrir le monde perdu. Allan devait l’apprendre plus tard, quoique déjà elle l’eût averti de sa misère, lui qui, des cîmes de la Terre et de l’Océan avec elle, au sein des jours italiens et des nuits italiennes, ne retrouva jamais dans ce bronze, muet à toutes les aurores comme à tous les crépuscules, un accord déchiré en débris, — le son arraché d’un accord de la harpe