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sensibilité qu’on se dévoue, les plus beaux dévouements crèvent en chemin. Or, chose cruelle ! ils ne sont pas encore impossibles qu’on ne croit déjà plus à leur vertu.

Le voyage d’Italie était décidé. Ils devaient partir quand les premiers froids arriveraient. Les martins-pêcheurs du marais étaient envolés, et les feuilles, qui tombent plus tard en Normandie qu’ailleurs, commençaient de tomber des branches pâles des saules. Encore quelques jours, et il n’y aurait plus personne dans ce château abandonné.

Les derniers jours qu’ils y passèrent ne furent marqués par rien de nouveau dans leurs habitudes. Allan, dont l’amour, en augmentant d’ardeur, avait subi tant de modifications différentes, ne voyait toujours que madame de Scudemor. Camille ne montrait aucun ressentiment de l’abandon de son jeune compagnon d’enfance. Elle était sérieuse au point de faire croire qu’elle n’avait pas besoin d’être résignée. Quant à Yseult, elle contrastait avec ces deux plus jeunes physionomies, dans l’une desquelles la douleur mettait son expression déchirante ou abattue, tandis que, dans l’autre, les joies insoucieuses du premier âge se retiraient peu à peu, comme l’eau pure et fraîche s’écoule du bassin tari de nos jardins, à l’approche des jours de l’été. Ainsi, entre ce qui était nuage et tempête, trouble naissant et passion consumante, madame de Scudemor, elle, ressemblait en grandeur et en repos aux lignes de ces vastes et ennuyés horizons romains du pays qu’elle allait visiter.

Avec quels sentiments ces trois personnes voyaient-elles venir le moment où elles quitteraient les Saules ?… Pour madame de Scudemor, ce voyage et ce départ n’étaient