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jeune homme — m’a appris à ne plus chercher dans mon amour que l’amour même, et non plus le bonheur, auquel il faut renoncer. Je t’aime pour t’aimer, et non pour être heureux. L’amour, quand il est comme le mien, ne sollicite plus un échange. Il n’en a plus besoin, ou s’il en a besoin, manquer de cet échange ne l’éteint pas.

Et ce dernier mot de l’amour d’Allan est le dernier mot de l’amour des hommes. C’est la honteuse ou glorieuse tentative du mysticisme, — quand il n’est pas religieux, — de cette impuissance désavouée et maudite de la sensation à sortir d’elle-même. Mais ce repliement désespéré de la passion, cette abdication du bonheur qui n’est, hélas ! qu’une inconséquence avec la nature même de l’amour, n’abusaient pas la triste Yseult. À ces promesses purifiées, à ces nobles paroles de l’homme qui l’aimait assez pour ne plus rien lui demander au nom d’un amour qui se suffisait, elle hochait la tête et répondait l’incrédule : « Vous croyez », lent et presque distrait, qui tombe mollement des lèvres et qui écrase, car c’est souvent toute la supériorité de celui qui sait sur celui qui croit, et la compassion pour une illusion fragile qu’on n’a pas le courage de détruire… Elle gardait dans son cœur la conviction que l’amour pur était une amère illusion, incompréhensible à l’intelligence, irréalisable à la sensibilité. Peut-être, elle aussi, avait-elle voulu autrefois soutenir la lassitude de son âme avec cette idée, grande de tout le désespoir de n’être pas heureux, mais qui n’est pas à hauteur de main d’homme dans la réalité des choses, et se rappelait-elle ses vieux déboires quand elle s’était aperçue que toute cette prétention à la force ne cache qu’une affreuse faiblesse. La nature humaine s’use autant par le sacrifice que par la jouissance, et quand c’est par