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les eût méprisés sans doute. Mais, quelque grande qu’elle fût elle était femme, et parce qu’elle était femme, elle avait encore des entrailles. Aussi, quand Allan, à cette phase de son amour, se montrait sous un aspect plus désintéressé, la charitable remordait son mépris sur ses lèvres, et n’avait plus que de douces et tristes paroles pour l’enthousiasme d’Allan, ce jeu d’enfant dont on se prend à rire quand on ne peut plus en pleurer !

— Yseult, — lui disait-il quelquefois, — je ne sais plus ce que je te suis. Je t’admire davantage et je ne t’en adore pas moins… Tu as atteint le plus escarpé de ton Calvaire quand tu as senti le vide de ton dernier sacrifice, quand tu t’es vue abandonnée non pas seulement de Dieu, mais de toi-même, et que ta volonté mourait frappée dans une intention sublime retournée contre toi avec l’injure brutale, en sus, que j’y ajoutais. Ô Yseult, il a dû t’en coûter, à toi que le monde n’avait pas pliée à ses lois hypocrites et qui étais restée sincère, il a dû t’en coûter de te dépouiller de cette fierté gardée comme un trésor pour les derniers jours de la vie, de la vie, cette immense pauvreté dont le bout est la mort !… Mais n’est-ce pas là, Yseult, ce qui te fait plus grande à mes yeux que si ta étais demeurée sincère ?…

Elle ne répondait pas, mais elle pensait que l’admiration d’Allan ne remplaçait pas ce qu’elle avait perdu pour lui. Elle ne pouvait s’empêcher de rougir, au dedans d’elle-même, de cette souillure plus que de toutes les autres, car être demeurée sincère vaut mieux que de n’avoir pas cessé d’être chaste. Du moins avait-elle la fortitude de cette opinion.

— Et mon admiration pour toi — continuait le brave