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peut-être, c’est que rien dans une âme droite et noble n’est perfectionnant comme un tort. Les natures qui n’ont jamais failli, sans réparation vis-à-vis d’elles-mêmes et des autres, n’ont pas la vitesse de bien faire de celles qui trébuchèrent une fois. Allan valut mieux depuis qu’il eut été si coupable, — et le sentiment de son reproche intérieur fut une purification de son amour.

Il lui en parlait souvent, et il entremêlait ce qu’il lui disait de pardons demandés et accordés toujours. Son amour ne perdait plus maintenant son respect dans les familiarités de la passion. Cet homme renouvelé, mais non changé, n’osait même plus la caresse. Il était devenu, de possesseur, amant ; de maître, esclave ; quoiqu’elle ne fût pas plus reine que jamais. Les portes restaient fermées la nuit. Nul pas ne s’entendait dans les vestibules, et les faits du mariage — cette indécence quand ce n’est pas une sainteté — n’accusaient plus la mésalliance de ces deux cœurs. Cela devait-il durer longtemps ?… Est-il vrai que l’homme vive mieux de ses désirs quand il ne les a pas apaisés ?… Allan verrait-il son amour rongé par le repentir comme par une maladie lente ? Et qui devait succomber dans la lutte, de la passion ou bien du remords ?… Ah ! lorsque vous l’avez acclimatée en vous, cette passion dangereuse, elle ne meurt plus que de sa belle mort et — à la confusion de la nature humaine ! — le remords vigoureux, acharné, jeune quand on la croyait vieillie, meurt le premier, sous les habitudes de cette passion invétérée, comme sous les embrassements visqueux d’un polype…

Yseult ne l’ignorait pas. Cet œil de faucon qu’elle avait au cœur avait pénétré tous les repentirs d’Allan. Elle les jugeait, et s’ils n’avaient pas accusé une douleur, elle