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terie n’aboutissait qu’à une déception pour lui, une injure pour elle, et, toute brisée, elle courba la tête sous son néant.

— C’est faux ! Vous ne m’aimez pas ! — poursuivit-il en tremblant et en devenant verdâtre. — Mais que vous ai-je donc fait, Madame, pour que vous me broyiez le cœur dans ces jeux cruels ? Tu m’as trompé, Yseult, et tu t’es avilie ; tu as menti !

Une rage effrénée le rendait insensé. Il la poussait contre la rampe en fer du balcon, comme s’il avait voulu l’en précipiter. S’il avait eu une arme dans les mains, il l’aurait tuée, tant sa fureur était terrible ! Il voulait se venger et ne pouvait pas… et, dans cette impuissance absolue d’infliger une douleur inouïe qui nous fait courir au mépris, il lui cracha à la figure.

— C’est vrai, — dit-elle en relevant son noble front, sur lequel le crachat resta sans qu’elle pensât à en essuyer la trace, — c’est vrai, j’ai menti, je me suis avilie. Si j’avais été une coquette, une de ces femmes de vanité qui font croire qu’elles vivent, parce qu’elles savent sourire, j’aurais peut-être réussi à mieux vous tromper. Mais votre mauvais génie, Allan, vous a fait voir clair à travers mes artifices, car tous les hommes devaient s’y méprendre. Je mentais si bien ! Je mentais à des profondeurs si prodigieuses ! Je le croyais, du moins, à mes effroyables efforts ! Je n’ai pas eu tantôt sur vos genoux un geste, un soupir qui ne fût une combinaison atroce. Je me défiais tant de moi-même que je calculais toutes mes caresses. Si je baissais les yeux, c’est que j’y appelais vainement des larmes, et j’avais soin de réchauffer mes lèvres dans vos larmes pour que vous ne les reconnussiez pas ! La pre-