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durées par toi, et, pour tous les deux, le commencement d’une vie nouvelle ?…

— Oui, mais pas ainsi ! — reprit-il avec une instance qui ressemblait à uns fatalité. — Tu ne me l’as pas dit encore ! Dis-moi « je t’aime », et puis, que je vive ou que je meure, je n’aurai pas rêvé, je n’aurai pas pu me méprendre. Je l’aurai entendu réellement, distinctement, de cette bouche que j’adore. Dis-moi seulement « je t’aime » ! Le veux-tu ?…

L’altération revint sur les traits d’Yseult, mais n’y resta pas. Sa conscience avait-elle peur de l’épreuve, ou vraiment l’amour, dont les développements sont si souvent inattendus, l’avait-il reprise ? Son sourire devint plus suave que jamais, et, d’une voix troublée, comme celle d’un être qui craint et obéit, elle répéta timidement : Je t’aime !

Allan lui darda deux yeux pleins de l’illumination d’une pensée soudaine, mais les siens restèrent fixes sous ces deux flèches de flamme qui s’y plongeaient, et qui ne déchirèrent pas le voile intérieur dont les rayons caressants étaient voilés.

— Je t’aime ! — répéta-t-elle avec insistance, en le voyant sous le magnétisme de son regard, et sa voix n’était plus qu’un gazouillement confus, aérien, un soupir — le plus pur soupir — en deux syllabes indécises.

— Vous mentez ! — s’écria Allan, frappé de cette intuition formidable, sûre comme la vie, comme l’air qu’on respire et comme l’être, et qui unifie l’homme à Dieu ! La femme comprit qu’un sentiment vrai terrassait l’hypocrisie d’un masque de voix, de regard, de caresses, plus impénétrable qu’un masque de fer. Singerie infernale ou divine, à laquelle une dupe échappait ! Ce fut horrible… La men-