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n’avais pas, ingrat sans le savoir, calomnié une tristesse dont tu étais cause, peut-être ne t’eussé-je pas livré mon secret. Je craignais que tu ne me crusses pas. Pourtant je savais bien que je te le ferais croire. Mais tout cela n’était pas bien sûr. Tiens, vois-tu, je ne savais plus ce que je voulais, et je ne sais plus ce que je dis !

Et, dans son égarement, elle lui mettait ses bras autour du cou, et elle était affolante avec ce langage passionné. Allan avait des larmes dans les yeux. Abondante nature, cœur plein de l’inépuisable trésor des pleurs de la jeunesse. Il les répandait dans la joie comme dans la douleur. Âge heureux où, pour tout, nous avons de ces bonnes larmes qui nous empêchent d’étouffer !

— Eh quoi ! tu pleures ?… dit-elle avec effroi.

— Oh ! n’aie pas peur ! — répondit-il. — C’est du bonheur que tu me donnes. Je crois que j’en mourrais, si je ne pleurais pas !

— Eh bien, pleure et pleure longtemps, âme de ma vie, pourvu que tu me laisses recueillir tes larmes ! — Et elle approchait son visage de celui d’Allan, et elle prenait chaque larme brûlante dans ses lèvres. — Pour qu’elles tombent dans mon cœur, — ajoutait-elle avec une coquetterie d’amour qui n’est déjà plus l’autre coquetterie, — il faut qu’elles prennent ce chemin.

Ô vous qui ne l’avez pas vu, vous ne savez pas quel charme inouï ces grâces soudaines d’une passion entraînante communiquent à la femme qui n’est plus jeune. Vous ne savez pas comme le contraste entre le cœur retrouvé et la beauté perdue sied à ces pauvres êtres que Dieu n’a pas permis au Temps de dépouiller tout à fait. Il n’y a rien dans la nature à qui on puisse comparer cette ravissante