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Allan ne comprenait pas davantage. Il se suspendait à cette bouche d’où glissaient, molles et presque harmonieuses, des paroles qui n’avaient pas un sens encore. Il attendait que le jour se fît. Yseult avait levé lentement son long regard, sous sa longue paupière, jusqu’au visage étonné du jeune homme, et elle le rabaissa aussitôt avec confusion. Ce n’était plus l’être calme, le front désert, la bouche au froid sourire. À travers l’être calme, on voyait poindre la femme troublée. Le désert du front s’emplissait d’on ne savait quelles vagues pensées, et la bouche se nuançait de mélancolie. Le Christ sur son Thabor ne se transfigura pas tout à coup.

— Moi, plus qu’une autre, — continua-t-elle, — n’ai-je pas répondu de moi-même ? N’affronté-je pas des dangers que je ne redoutais plus ? et pourtant…

— Et pourtant ? — dit Allan, avec une curiosité plus dévorante que jamais, et qu’un coin du ciel entr’aperçu éblouissait.

— Et pourtant, — reprit-elle, en cachant sa tête dans ses mains, — nous ne sommes jamais quittes d’aimer… — Et dans ce mouvement de jeune fille honteuse et trahie, dans ce brisement de voix mourante, l’identité d’Yseult de Scudemor était perdue. Il n’y avait plus là qu’une femme qui venait d’oser, en tremblant, un aveu. Un nuage voila les yeux d’Allan, et il dit d’une voix faible, hachée par l’oppression du dernier mot de madame de Scudemor :

— Ne vous jouez pas de moi… Ne vous jouez pas de moi, en grâce ! C’est impossible. Je ne vous crois pas !

Pour toute réponse, elle ôta ses mains. Elle était pourpre. On ne savait pas si une larme de tendresse ou l’hu-