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ne cherchait-il plus que madame de Scudemor l’initiât à tous les mystères de sa pensée. Il en avait fait le tour. Il la savait. Cependant il se croyait généreux vis-à-vis d’Yseult en ne l’interrogeant jamais plus, — en ne sollicitant plus les révélations nonchalantes qui viennent du cœur aux lèvres quand on s’aime, éternelle inauguration de l’un par l’autre, qui n’apprend rien que le désir de s’apprendre davantage tous les deux. Son regard à lui traversait, pour ainsi dire, le calme inouï d’Yseult, et semblait se jouer de l’autre côté. Femme réduite maintenant à l’indécomposable, n’ayant sauvé du grand naufrage de toutes choses que cette faculté de compatir, qui est au sentiment ce que la notion est à l’intelligence et l’atome à l’univers. Mystérieuse essence de ces cœurs étranges pour lesquels il n’y a point de Tirésias.

Et lui, qui se donnait les airs d’une superbe délicatesse, lui qui, à force de vanité, s’illusionnait sur les motifs de son silence, il put bientôt le reconnaître quand madame de Scudemor lui apparut sous un point de vue si nouveau. Ce n’était presque rien encore, un pli de jonc sur la torpeur des eaux immobiles, un cercle fuyant sous la chute de quelque graine tombée du bec de l’oiseau qui passe, un caprice, ce quelque chose de la femme dont elle ne sait pas le premier mot, et ce caprice, ce presque rien fut une énigme tourmentante, une énigme dont Allan aurait payé cher la solution. Une supposition l’eût soulagé, mais quoi supposer à propos de cette femme unique ?… Tout, plutôt qu’elle pût l’aimer jamais ! Tout, plutôt que de l’urne tarie dont les eaux pluviales avaient fui, sous le ciel de l’amour devenu d’airain, il s’en retrouvât une goutte, non séchée encore, filtrant à quelque angle caché.