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mant dans d’impudiques vouloirs, et quoique les satisfactions de mon brutal égoïsme aient toujours été impuissantes à rassasier la faim et la soif placées à la source même de mon être, cependant n’aurais-je pas dû les répudier ?… L’amour n’est donc pas un sentiment dont on doive être fier quand on est un homme, ou j’ai manqué du plus vulgaire orgueil. » Dilemne effroyable, qui se refermait sur sa conscience comme le chêne fendu sur les bras rompus du Crotoniate ; mais, comme le chêne n’ôtait pas la vie à l’athlète, la conscience blessée se plaignait mais l’amour restait sain et sauf.

Ce jugement, qu’il ne s’épargnait pas et qui n’atteignait pas sa passion, l’empêchait de se livrer avec Yseult à ces abandons inévitables quand on vit ensemble, et dont la froideur de celle-ci avait extrêmement diminué le nombre. N’est-il pas des jours où, malgré tout, on a besoin de dépouiller la chlamyde de la vie cachée, de la pensée solitaire, de l’amour non partagé pour respirer un peu mieux ; où, quoiqu’on n’ait qu’une épaule pour appuyer son front las, on porte sa pensée plus lasse encore, comme si cette épaule entendait ; où l’on ne craint pas d’exposer la sueur de ses peines au froid tombant durement dans l’ombre des piédestaux de granit, comme à la fraîcheur bienfaisante d’un bois d’oliviers… Funeste imprudence expiée presque toujours plus tard ! Mais, pour Allan, il fallait que la passion renversât fougueusement la coupe. Jamais, plus doucement inclinée, l’épanchement retenu aux bords n’échappait, dans les longs et calmes ruissellements des confidences. Il gardait furtives toutes les profanations de lui-même, car il ne savait plus lequel était le plus flétri de sa fierté ou de son amour.

S’il vivait tellement retiré en lui-même, à plus forte raison