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secrets fussent mis en commun ? Il ne se sentait vraiment pas le droit de dire à madame de Scudemor, ni tendrement, ni impérieusement : « Qu’as-tu ?… » Il avait réfléchi sur sa vie actuelle. C’est la marque des sentiments profonds, que la réflexion à laquelle ils plient l’esprit. Cette réflexion découvre les anfractuosités de l’âme, ces côtés crevassés, branlants, poussiéreux, qui, dans la vie de deux cœurs, croulent au moindre choc et dépouillent le roc chaque jour davantage… Cette situation est angoissante et on n’y peut rien. Il faut se voir. Il faut se juger. Il faut rougir de soi. On s’arracherait les yeux de la tête et on les jetterait à la première borne du chemin, qu’on ne s’arracherait pas la conscience ! Souvent la Honte est le boulet que traîne le pied saignant d’un sentiment dans nos cœurs. Elle était rivée à celui d’Allan.

Mais ce sentiment, qui porte avec soi un châtiment parce que tout sentiment renferme peut-être quelque culpabilité inconnue, ce sentiment, on y tient encore ; on s’y cramponne ; on le serre contre son sein ; on l’y renfonce à deux mains avec une ferveur d’avare qui ensevelit un trésor, avec un frissonnement de lâche qui se cache, avec la tenace folie d’une jeune femme qui meurt et qui ne veut pas mourir. L’unité seule est grande et belle, mais la dualité ronge l’homme par les deux bouts et jusqu’au cœur. Ô vous qui mettez la lutte au-dessus de l’harmonie, connaissez-vous bien ces combats où l’on est vaincu sans le repos de la défaite ?

« C’est une vileté, une immense vileté à moi, — se disait Allan quand la vérité sillonnait l’esprit corrompu, — d’accepter la vie que cette femme m’a faite, et encore, je l’accepte moins que je ne la subis… J’ai sali les conceptions candides et lumineuses que j’avais de l’amour en l’enfer-