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s’appelle de l’humanité. Que si la douleur est plus forte que la vaine science, que reste-t-il à faire sinon de précipiter violemment à la tombe l’être qui fut créé pour mourir ?… Mais quand cette terrible conséquence, devant laquelle ont reculé des hommes plus lâches que leurs doctrines, quand cette ressource suprême manque aussi, chose inerte et lugubre ! la Pitié humaine se voile la tête, et attend, dans une horreur muette, qu’il n’y ait plus là qu’un cadavre pour la relever.

Et c’était ce qu’avait fait Yseult pour la passion d’Allan. Mais la passion ne s’était pas endormie avant de mourir. Elle veillait, toujours plus cruelle. Prolongerait-elle sa veille longtemps encore ? Résisterait-elle bien des jours à la fatale agonie ? Yseult s’était mise à attendre, enchaînée auprès du malade, lui donnant sa main quand il la voulait, sa bouche quand il la voulait, son sein quand il le voulait, — tous poisons, mais trop lents au gré de sa compassion intrépide.

Cependant la souffrance devint si atroce, cette dernière nuit avait été d’une horreur si nouvelle, que cette pitié, réduite à l’inertie, se releva de terre et voulut agir. Ô folie d’un sentiment, mais d’un sentiment qui briserait la langue de l’homme s’il essayait de le nommer !

« Peut-être, — se dit-elle, dans un de ces repliements sur soi qu’ont tous les caractères profonds et qui contiennent un secret reproche, — peut-être ne suis-je pas allée assez loin encore. J’ai rejeté tous les motifs de vanité, étouffé toutes les répugnances d’une vulgaire délicatesse, foulé aux pieds tous les semblants de vertu, mais n’y a-t-il pas autre chose encore à sacrifier ? N’est-ce pas un reste d’orgueil qui met entre moi et Allan la négation qui le désole ? »