Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il la fasse éclater, qu’importe ! Aime-moi ! Ne m’aime pas ! Mots qui frappent l’air d’un son stérile. Mensonges, peut-être ! N’est-ce pas toi que je tiens là, Yseult ? Tu es à moi ! Je suis heureux !

« Je suis heureux ! » Et il proclamait son bonheur avec des accents tirés de si loin dans son âme, qu’il eût fait trembler les âmes pures sur la céleste origine du bonheur qu’elles espèrent parfois.

Mais l’expiation suivit de près le blasphème. Les sens, en lui, palpitaient encore, qu’à ce bonheur proclamé le cœur avait répondu par une négation sublime. Quels sont ceux qui n’ont pas senti, au fond de leurs âmes, de ces péripéties soudaines, au moment où ils croyaient que le drame intérieur n’avait plus qu’à se dérouler sans une seule lutte désormais ? Le dénouement, on le tenait pour certain, et voici que d’un fond plus intime et qu’on n’avait pas aperçu, il en jaillit un autre plus grand et plus vrai. Les larmes noyèrent le rire impie et, à la place de toutes ces fanfares de victoire, un cri de détresse s’exhala :

— Quand je le voudrais, je ne pourrais le croire, Yseult ; — reprit-il, — ce n’est pas vrai que je sois heureux ! Ce n’est pas vrai que l’amour soit ce que j’ai dit ! En vain je m’étends sur ton sein et je m’y abreuve d’une ivresse mortelle, mon cœur se venge des égarements de ma raison. Ah ! c’est le contraire qui est le vrai plutôt. L’amour est d’être aimé, pas autre chose ! et moi, — dit-il d’une voix crevant dans ses sanglots, — et moi, je suis bien malheureux !

En le voyant retombé dans une telle affliction, Yseult se souleva sur son séant et lui dit, à lui qui pleurait loin