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poète. Il l’était deux fois, puisqu’il était amoureux, et il déchevelait Yseult comme le poète se sert d’un rhythme et d’une image, car c’était là un rhythme et une image de cet incoercible poème qu’il ne pouvait réaliser.

Le bras jeté aux épaules inclinées céda et vint à tomber plus bas sur les oreillers amollis. Ce qu’elle avait dit paraissait avoir détaché d’elle la caresse languissante, contemplative, cette caresse de l’autre bord des jouissances vives vers lesquelles on se retourne, quand elles ne sont plus, avec un regret suppliant. Un mot vrai, innocent et bon, avait interrompu la caresse comme le doigt d’un enfant fait tomber un fruit mûr, rien qu’en s’y posant.

La langueur mélancolique du sentiment d’Allan ne dura pas, mais ce ne fut pas l’âme qui l’engloutit dans son amour. Il n’en faut pas tant souvent à la pauvre nature humaine ! Le bras, en coulant des épaules sur le lit, avait peut-être rencontré un tissu moins épais, le renflement d’une forme plus excitante de volupté et de mystère, une révélation de nudité à quelques replis de vêtements de nuit dans ces poses insoucieuses, un toucher frémissant, mais imperceptible, et ce fut assez pour que la poitrine se regonflât et que s’en revînt l’orage parti avec ses effrayants murmures.

— Ah ! tu peux me recrier, maintenant, — dit-il avec explosion, — ton éternel mot de glace aux oreilles, il ne me tombera plus dans le cœur comme une goutte de venin. Il y a quelque chose, Yseult, qui vaut mieux que toi et qui me préserve de toi. C’est cette beauté suprême que tu m’as donnée comme chose que tu méprisais, et qui me fait oublier ce que sans cesse tu me répètes, — qui fait que je ne t’entends plus !