Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XX

L’horloge avait sonné une demie. On ne savait quelle était l’heure, mais sans doute on dormait aux Saules depuis longtemps. Eux seuls veillaient. Ils veillaient comme deux coupables ou comme deux heureux. L’un entourait des caresses de cet amour qui fait chaste ce que la volupté a de plus troublant, la femme qui avait eu le premier sentiment de son cœur. L’autre pratiquait le dernier dévouement dont elle fût capable, — était-ce un crime ? L’un aimait et sentait que son amour était inutile, que jamais il n’en serait payé par rien qui ressemblât au moindre sentiment d’amour, horrible angoisse ! L’autre, montrant dans une inaliénable faiblesse une inaliénable sympathie, craignait que cet amour inspiré par elle ne brisât, avant d’être brisé lui-même, cette vie faite pour être acceptée à la condition d’en donner une autre en échange, — était-ce du bonheur ?…

— Laisse-moi ! — disait-il, comme s’il craignait une résistance après tant de volontaires abandonnements. — Regarde-moi, que je te voie ! — Et, la main au front de madame de Scudemor, il la repoussait presque en arrière,