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silence et que les domestiques étaient endormis, Allan traversait les longs corridors à pas furtifs, s’arrêtant souvent pour respirer entre deux battements de son cœur. Une émotion qui ressemblait à de l’effroi se mêlait fatalement à cette action d’aller trouver la nuit, en se cachant, celle qu’il aimait et dont la pensée faisait ruisseler des rivières de flammes dans ses veines.

Puis, quand le matin était venu, le matin imperceptible encore, — point gris de perle, avant d’être rose, à l’horizon annuité, — il sortait de la chambre de madame de Scudemor, aussi pâle que Roméo tombant du cou de sa Juliette sur la rampe du balcon où il se suspendait pour lui dire son dernier adieu ; mais, comme Roméo, il n’était pas pâle, lui, de cette double pâleur du bonheur et de la transe qui se déploie sur les fronts moites des baisers donnés et reçus. La sienne eût été plus grossière si l’inamissible douleur de son âme n’en avait transparence la nuance, — comme ces nuages d’un blanc glauque et épais que la lune immatérialise en les pénétrant de sa blancheur plus lumineuse.