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n’avaient pas l’expression réchauffante de ceux des mères. Mouvement involontaire, du reste, que les manières détachées et d’une bonté toute physique de madame de Scudemor suffisaient pour expliquer, et aussi l’absence de cette affection d’une fille pour sa mère, — paisible, forte et abreuvante, — que Camille ne connaissait pas et qui n’est pas toujours le partage de ceux qui en apprécieraient le plus la douceur céleste. Parmi les déshérités de ce monde, les plus malheureux sont les déshérités de leurs mères, pauvres orphelins du cœur, sacrés aux orphelins eux-mêmes entre tous. Le sentiment fraternel d’Allan pour Camille avait remplacé pour elle tout ce qui lui manquait d’ailleurs ; quand ce sentiment se retira d’elle, était-il étonnant qu’elle le regrettât ?…

Seulement, elle ne laissait plus échapper de plaintes enfantines comme celles qu’elle avait répandues contre Allan dans les commencements du changement qui la désolait. Elle avait tout englouti dans son sein. Abîme noir comme un cratère que la profondeur qu’il y avait déjà dans cette frêle poitrine de rossignol, qu’une piqûre d’épine d’églantine eût traversée de part en part.

Et le plus grand mal de la passion d’Allan était peut-être ce froissement perpétuel d’un sentiment pur et profond dans une âme aimante. C’était cette douleur imposée à l’innocence qui n’avait rien fait pour souffrir. Oh ! la passion ! la passion ! ne croyez ni à ses dévouements ni à ses larmes ; étouffez-la, si vous ne voulez être cruel ! Voyez ! ce jeune homme était bon, et il avait aimé Camille. À la tête de cette enfant se rattachaient tous ses souvenirs, couronne d’années, couronne de perles qui jetaient d’adorables resplendissements dans ses cheveux, éplorés comme