Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’adolescence. Il y avait — phénomène étrange d’énergie ! — comme un avenir chargé dans cette organisation de petite fille longtemps si intensément joyeuse, et qui faisait se demander avec inquiétude ce que deviendrait cette petite le jour qu’elle ne rirait plus ainsi ?

Or, ce jour semblait arrivé. Le rire avait peu à peu quitté ses lèvres hardiment arrondies. Par l’éducation que madame de Scudemor disait la seule que reçussent les femmes, par l’éducation de l’injustice et de la souffrance, Allan avait forcé cette nature féconde et abondante à ne plus jaillir impétueuse, et la fierté aux éloquentes impostures était devenue la ressource de la pauvre enfant. Quand sa mère parlait de ses bouderies, sa mère la calomniait. Ce n’était pas cette muable et vaniteuse chose qui renfermait le secret de la conduite toute nouvelle de Camille vis-à-vis d’Allan. Madame de Scudemor savait bien que les manières d’Allan auraient dû choquer une susceptibilité moins vive que celle de sa fille, mais elle n’avait pas épié le sentiment sororal qu’avait développé dans Camille l’habitude de vivre avec Allan, Allan caressant, occupé d’elle, d’une tendresse plus grande que celle de sa mère, dont les mains étaient toujours si froides à baiser ! Madame de Scudemor ne pouvait donc savoir quelle déception avait frappé au cœur l’enfant abandonnée, à propos d’un changement auquel son ignorance ne comprenait rien.

D’un autre côté, en présence de sa mère dont l’œil avait parfois une dévisageante fixité, Camille était beaucoup plus réservée que triste. Pas de rêverie comme seule aux champs pendant la maladie d’Allan, mais un sérieux doux et des regards pleins de lenteur. Elle se reculait en elle-même sous les yeux de madame de Scudemor, qui