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XIX

Cette promenade du soir était le seul signe qu’on eût, dans le pays, de la présence des maîtres aux Saules, si différents alors de ce qu’ils étaient tous les ans. La tristesse des trois personnes qui les habitaient en rendait la solitude encore plus austère. Allan devenait chaque jour plus sombre, plus amer, plus dur, plus emporté quand il n’était pas seul avec madame de Scudemor pour qui sa passion s’irritait par la force des ressentiments, par la compression des tourments cachés, par le manque d’air d’une intimité avortant sans cesse, car, cette femme, il ne la prenait qu’aux flancs, qui ne palpitaient pas plus que tout le reste mais qui, du moins, ne cherchaient pas à lui échapper !

Et il y avait sur le front hâlé de Camille comme une ombre des soucis d’Allan. Les brusqueries répétées de l’égoïste jeune homme l’avaient rendue aussi timide qu’elle était fougueuse avec lui, aussi contenue qu’elle était naïve. Violente, frémissante au plus haut degré, d’une vie si gonflée de souffles élyséens et de vagues fraîches et entraînantes qui cherchaient à se creuser un lit partout, elle s’élançait par bonds de journées, par bonds de sensations