Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avais point de cendres d’affections consumées à donner à ce Dieu mendiant qui se contente de haillons d’amour, s’il est vrai toutefois qu’il les mendie ! Le sentiment religieux n’est que le besoin d’un appui, cette éternelle faiblesse qui tient l’homme si cruellement en servage, et à laquelle nous avons donné tant de noms pour n’en pas rougir. Cette faiblesse, j’en avais eu ma part, j’en avais été la victime. Elle était si grande en moi, Allan, que je glissai à terre et n’allongeai pas machinalement mes bras lassés, pour saisir ce roseau qui toujours échappe ! Quand j’avais été le plus malheureuse, quand les passions m’avaient le plus blessée, j’avais voulu roidir ma poitrine à l’encontre des coups. J’avais pensé à faire de la force… Souvent une larme, que le cœur n’avait pu ravaler, sillonnait de sa trace brûlante le masque de bronze que je m’étais mis, et j’aurais donné ma beauté pourque cette larme n’eût pas coulé, même dans la solitude où je la cachais. Je me serais coupé les boucles ondoyantes de ma chevelure pour étancher tout ce sang qui dégorgeait de mes blessures. Je m’appuyais sur mon orgueil, et je regardais, sur le mur, comme cette attitude m’allait bien ! À cette heure, j’aurais pu, sans nul doute, m’appuyer sur cette idée de Dieu comme je m’appuyais sur l’orgueil. Mais depuis, l’une et l’autre devinrent inutiles. La nature humaine criait quartier et le destin fut implacable. De tout cet altier stoïcisme, il ne resta pas un lambeau à la femme pour cacher la nudité de son orgueil humilié. Le mépris de moi-même me saisit, mépris superbe et d’un rire farouche qui mourut à mes lèvres comme une dernière réclamation des fiertés vaincues… Je ne demandai plus rien à mon âme, à la vie. Dieu, n’est-ce pas la vie acceptée ou maudite ? N’est-ce pas une idée de