Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux d’ici-bas, que sans comprendre cette douleur ils l’auraient pourtant soupçonnée, et l’humanité qui se serait reconnue aurait étouffé son Raca.

— Yseult, — lui disait Allan dans ces promenades, — vous m’avez bien raconté votre vie, mais vous ne m’avez pas dit ce qui a suivi votre dernier amour. Vous, dont la force avait d’abord été si grande, tombâtes-vous d’un seul trait dans l’abîme où vous voilà descendue ? Lorsque cet amour vous eut trahie, est-ce que vous n’avez pas lutté encore ? N’y eut-il rien, dans cette vie dépouillée, à quoi vous pûtes vous reprendre ? Je ne sais que l’amour, je ne sais que toi, mon Yseult ! mais ils disent que l’amour trahi a encore de nobles refuges, — l’amour maternel et l’amitié aux plus faibles, aux plus fortes natures la pensée, et Dieu pour tous, — pour vous et pour nous aussi…

— Dieu ! — répondait l’athée misérable, la grande morte à Dieu comme à la vie, en baissant ses yeux de marbre comme si elle avait voulu se soustraire à cette grande idée de Dieu, écrite dans les horizons infinis où le soleil lentement mourait. — Dieu ! c’est une parole haute et grave. Je l’ai souvent aux lèvres comme s’il y avait dans cette parole une consolation secrète, et je ne sais pas si elle cache autre chose que de la lâcheté ou de l’ignorance. Cette idée de Dieu resta toujours pour moi vague et flottante. Elle n’endormit pas une seule de mes douleurs. À force d’asservissement à des pratiques, bonnes quand le cœur s’y intéresse, mauvaises quand il est occupé ailleurs, ne m’avait-on pas, dès mon enfance, fait prendre la religion en dégoût ? Ne voyant qu’un but à la vie, — le bonheur dans l’amour, — j’avais aimé avec furie, et, dans les prodigalités de mon âme, j’avais épuisé tous mes parfums sur des pieds mortels. Je