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pouvait pas exister. L’intimité est chose mystérieuse et retirée. On sent délicieusement qu’elle existe, mais, au dehors, rien ne la manifeste qu’imparfaitement. C’est comme le souffle de l’esprit dans la nature. Cette expansion secrète de deux âmes, silencieuse, invisible, ils ne l’avaient pas ! Mais, à défaut de cette intimité indescriptible dont Allan sentait l’absence avec amertume, il s’efforçait d’en créer une autre plus grossière, mais impuissante et fatale aussi. C’était la connaissance entière, complète de la femme qu’il aimait, l’entente profonde de son âme. Voir ce qu’il y a dans l’Idole, percer ces résistantes ténèbres, dissiper ces restes d’obscurité, — mouvement qui nous emporte tous, intelligence qui se relève d’à genoux où la passion l’avait mise, curiosité insatiable et qui passe toujours outre, entraînant l’amour avec elle quand tous les mystères seront épuisés !

Allan ne savait pas ce qu’il faisait. Il obéissait aux lois d’un sentiment qui veut connaître, parce que connaître, c’est encore posséder ! Mais madame de Scudemor le savait pour lui. Aussi lui livrait-elle toute sa pensée, comme elle lui avait livré sa vie. Elle, dont le je tenait si peu de place dans le monde et dont le langage qu’elle y parlait n’était qu’un lieu commun élégant et effacé, magnifique abstraction achetée, à force de souffrances, impossible à toute autre femme qu’une femme comme elle, elle redevenait personnelle avec son amant, non dans les intérêts de son amour, mais pour en hâter la fin davantage. Elle répondait à toutes les questions d’Allan, s’analysait avec lui minutieusement jusque dans les derniers replis de son âme, parce que c’était se donner encore ; parce que se donner, se donner beaucoup, se donner toujours, c’est provoquer