Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand Allan lui amena son cheval, il ne lui donna pas le temps de s’élancer en selle, du tertre où elle était, mais il la saisit et la souleva de terre comme si elle eût été une jeune fille légère et fluette. — Vous allez vous faire mal, Allan ! — cria-t-elle épouvantée. Contre sens de toutes les femmes quand on s’expose au bonheur de se faire mal pour elles, parce qu’on les aime à en vouloir mourir ! Convalescent, pâle et épuisé, il la tint un instant sur sa poitrine dont les vaisseaux craquèrent sous le poids de cette robuste créature. Il éprouvait ce regret fou de ne pouvoir être écrasé davantage par ces formes idolâtrées, qu’on n’identifie jamais à soi…

Lorsqu’elle fut à cheval, dans cette pose presque coupable, tant elle trahit ce que la femme a de plus enivrant dans les mouvements et dans les contours ! il la regarda frissonnant, béant, bouleversé. Un désir de flamme lui courait de l’âme dans le corps. Pauvre misérable ! il imprima sur le brodequin, couvert de poussière, de madame de Scudemor, un baiser à brûler une lèvre de vingt ans. — Mais elle, qui connaissait les frénésies qu’elle avait soulevées tant de fois chez les hommes qui l’avaient aimée, mit son cheval au galop et prit la direction du château.