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ternel enfantillage des passions, — et si ce n’est pas celui de l’amour c’est sa ressemblance, sans hypocrisie. C’est son appellation délicieuse. Pourquoi me dis-tu toujours vous au lieu de toi, en me parlant ? J’y ai pensé bien souvent, puisque maintenant… Ah ! si tu es reconnaissante de mes larmes, si tu les trouves dignes d’être répandues sur ce cœur que j’aurais voulu ranimer, dis-moi une seule fois, ne fût-ce qu’une seule fois, dis-moi : « Mon Allan, je te remercie, » car ne suis-je pas à toi, Yseult ? À toi jusqu’à ma dernière pensée ! Je rêverai l’amour dans son langage, et ce sera comme si tu t’étais donnée une seconde fois.

Cette fantaisie d’un cœur amoureux la toucha, cette raisonnable femme.

— Eh bien, oui : « Mon Allan, je te remercie » ! — répéta-t-elle comme il le voulait, en passant, avec une coquetterie maternelle, sa main de neige sur les cheveux moites de la chaleur du front qui brûlait. Le malheureux jeune homme s’épanouissait sous ce mot et sous cette main comme la tourterelle, l’aile ouverte, au soleil de mai. Il en frissonnait… comme le faible oiseau.

— Voyez-vous, Allan, — reprit-elle avec, ce regard altéré que l’on a quand on cherche en soi quelque chose qu’on craint de retrouver, au fond de son cœur, dans des rêves en débris et des souvenirs confus, — je peux vous dire « toi », puisque vous le voulez. Ce mot déshabitué à mes lèvres, je peux m’en servir comme si j’aimais, tant il est éteint ! tant il est vide ! Tiens donc, enfant, prends et respire cette écorce d’un fruit qu’ils ont dévoré, sans en laisser une goutte pour toi !

Et il y avait dans son expression un dédain doux, comme