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dans cette amazone de mérinos noir. La course et la chaleur avaient un peu gonflé les veines de son visage et fait flamber, à la sommité des joues pâlies, une flamme que depuis longtemps on n’y voyait plus. Les lèvres s’entr’ouvraient et l’air frappait aux dents humides, — à ces dents que la femme, cette lionne de tendresse, a reçues pour remplacer les lèvres impuissantes aux baisers. L’animation de cette figure était si grande qu’on oubliait les rides qui commençaient à la sillonner, et qui auraient dû se creuser davantage à ce jour cruel de midi, à l’âpre lumière de ce ciel bleu.

Elle ôta son gant de chamois, et elle se mit à lisser sur ses tempes ses cheveux bruns, dont les peines de la vie avaient blanchi prématurément quelques-uns.

— O Allan, — reprit-elle après un silence, pendant que l’amoureux jeune homme lui ceignait d’un bras la cambrure de la taille, — je suis belle comme vous êtes heureux ! Demain est là qui nous menace l’un et l’autre. Il y a au fond de cette beauté que vous aimez, comme au fond du bonheur dont la jouissance vous est si présente, un germe de mort que demain peut tout à coup développer.

Et, comme pour lui donner raison à l’heure même, l’éclat de la course et de la chaleur qui l’illuminait s’évanouit. Sans doute, elle sentit qu’elle redevenait pâle, — que la femme flétrie reparaissait, car elle se prit à sourire tristement d’un sourire que l’humidité savoureuse séchée déjà aux lèvres ne baignait plus, et qui découvrait des dents belles encore, mais entre lesquelles il y avait le petit point noir imperceptible qui se cache dans les fleurs et les fait mourir.

— Que tu es cruelle, Yseult ! — dit Allan avec amer-