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cendit pour donner la main à sa compagne, mais, aussi agile que lui, d’un saut elle fut à terre sans se servir de l’appui qu’il s’était empressé de lui offrir.

— Arrêtons-nous ici, et attendons que la chaleur soit passée pour retourner aux Saules, — dit-elle, tandis que son compagnon attachait les chevaux à un arbre de la haie, et elle rejeta le voile qui lui couvrait le visage par dessus son chapeau d’homme.

— N’es-tu pas fatiguée, mon amie ? — demanda le jeune homme avec le tremblement de la crainte et le respect de l’adoration.

— Ce serait à moi à vous faire cette question, Allan, — répondit-elle avec un sourire. — Vous êtes un convalescent encore, et nous avons peut-être trop couru pour vous ce matin.

— Oh ! ne crains rien, — fit-il, — mon Yseult ! La vie est à l’ancre dans ma poitrine. Elle ne me quittera plus désormais.

Elle le regarda, de ses yeux tranquilles, comme si elle eût regardé un insensé. À vrai dire, son visage était bien pâle et sa taille bien mince et bien brisée pour parler ainsi de la vie. Il avait l’air d’un spectre gracieux.

— Asseyons-nous, Yseult, — dit-il, et ils s’assirent sur le revers du tertre, le soleil derrière eux, mais protégés par le tertre contre ses rayons. — Que tu es belle ! — lui faussa-t-il d’une voix enivrée. C’était presque vrai. L’automne paraissait aussi beau, quoique plus avancé, dans cette femme que dans la nature.

Jamais le sculpté poignant de ces formes, qui semblaient avoir été moulées pour les luttes éternelles de la volupté, ne s’était révélé d’une manière plus émotionnante que