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XVI

On arrivait à la mi-septembre. C’est le plus beau temps de l’année pour la Normandie. Elle n’a plus sa plantureuse verdure, mais ses chênes rougissent sous son ciel rougissant. Les aubépines ne fleurissent plus dans les sentiers où le vent les détache et les roule de la haie qu’elles blanchissent, comme une poussière odorante et épaisse à combler l’ornière qu’y laissa la charrette aux jours de l’hiver, mais la ronce disparaît sous les mûres noires qui la courbent. On ne voit plus l’or clair des colzas ondoyer au loin dans les plaines, opposé au violet pourpre et ras des trèfles en fleur, mais partout la teinte brune des terres labourées. Les pommiers droits ou penchés des enclos ont perdu leur parure de draperies roses et blanches, mais les pomme vermillonnées et drues, qui sont nos oranges et nos raisins à nous, gens de l’Ouest, brillent à travers leurs branchages et tombent au pied des troncs, de leurs têtes inclinées, comme d’une corne d’abondance. Les sarrazins, ce pain noir du pauvre qui fleurit si blanc, les sarrazins ne sont pas encore coupés mais ils vont l’être dans quelques jours, et de leurs gerbes, liées et relevées sur le sol à d’égales distances, ils formeront comme un camp de petites tentes