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normands, en beaucoup de points, est frappante. Le ciel même, le ciel si souvent gris et pluvieux de notre Ouest, qui nous pénètre si profondément le cœur de sa lumière mélancolique et nous y met, quand nous en sommes loin, la nostalgie, ajoute encore en Normandie à cette illusion d’Angleterre, et semble quelquefois pousser entre les deux pays la ressemblance jusqu’à l’identité.

Et cela était vrai, surtout, du château qu’on appelait : « le château des Saules ». Parmi tous les châteaux qui se dressaient sur les côtes de la presqu’île du Cotentin, il n’y en avait certainement pas un qui donnât mieux l’impression de ces châteaux comme on en voit tant en Angleterre, émergeant tout à coup de quelque lac qui leur fait ceinture et qui baigne leurs pieds de pierre dans la glauque immobilité de ses eaux. Situé dans la Manche, à peu de distance de Sainte-Mère-Église, cette bourgade qui n’a conservé du Moyen-Âge que son nom catholique et ses foires séculaires, entre La Fière et Picauville, il ne rappelait pas autrement le temps de la Féodalité disparue. Si on l’avait jugé par ce qui restait des constructions de ce château, malheureusement en ruines aujourd’hui, il avait dû être bâti dans les commencements du dix-septième siècle sur les bords de la Douve, qui coule par là en plein marais, et il aurait pu s’appeler « le château de Plein-Marais », tout aussi bien que le château d’en face, dont c’est le nom. Plein-Marais et Les Saules, séparés par les vastes marécages que la Douve traverse, en se tordant comme une longue anguille bleue, pour aller languissamment se perdre sous les ponts de Saint-Lô dans la Vire, et trop éloignés l’un de l’autre sur la rivière qui passait entre eux, ne pouvaient s’apercevoir dans le lointain reculé