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cœurs transfondus, a été déchiré dans chaque fil de sa trame fragile et qu’il n’en reste pas un haillon sacré pour en faire des langes à l’enfant qui pleure, le malheureux grandit comme il peut, dans son berceau. Le cordon ombilical du passé a-t-il été tranché comme celui de la chair ? l’enfant ne tient plus à la mère. Cette vie une, dans sa duplicité merveilleuse, éclate et se scinde tout à coup, et, chose cruelle ! dans cet arrachement de deux existences l’une à l’autre, ce n’est pas l’espace qui dorénavant doit les séparer davantage.

Pauvre Camille et pauvre Yseult ! Il n’y avait donc que des rapports extérieurs entre elles ! un sentiment doux comme tout ce qui est sur le point de n’être pas, engendré par l’habitude, par l’idée de la faiblesse de l’enfant qui constituait un devoir de protection dans l’esprit de madame de Scudemor, mais rien d’adhérent et d’étroit. Dernière négation de la destinée, qui avait tout refusé à cette femme excepté le cœur qu’il lui fallait pour en souffrir.

Aussi, comprendra-t-on plus aisément qu’elle dût se préoccuper exclusivement des rapports nouveaux qu’une souffrance, dont elle s’accusait, avait établis entre elle et Allan de Cynthry.

Camille n’avait jamais joui d’une liberté pareille. Jamais elle n’avait pu comme alors se livrer à ses mille fantaisies, perdre son temps avec une mollesse plus paresseuse, ce temps qui n’est gagné souvent que quand il est si bien perdu. Tous les jours elle les passait à errer, sans but, dans le marais et dans les campagnes adjacentes de l’autre côté du château ; et, quand le soleil qui la hâlait était trop brûlant, elle s’asseyait contre le tronc de quelque saule ou le revers de quelque fossé, et elle attendait que la cha-