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XIV

madame de scudemor à allan.

« Allan, tout est une harpe au poète et votre lettre est un chant d’amour. Votre jeunesse n’a pas voulu croire à ce que je vous disais de moi-même. Il vous a été plus doux de penser que je ne me connaissais pas. Parce que j’ai agi comme celles qui aiment, vous vous êtes hâté de proclamer la résurrection de mon cœur. Hélas ! pourquoi ne l’auriez-vous pas fait ? Chose ordinaire et misérable ! Ne sommes-nous pas aussi souvent dupes de nos joies que de nos découragements ?

« Ah ! si je n’avais été que découragée, peut-être eussiez-vous eu raison, mon pauvre Allan. Le découragement est de la passion encore. Elle est renversée, mais elle vit… C’est un abattement bien cruel, je le sais, mais il y a au fond une révolte. Tant qu’on murmure, on n’est pas entièrement détaché. J’ai connu cet état de l’âme, cette langueur d’un désespoir fatigué, cet accroupissement sur soi-même, cet enveloppement de la tête avec son manteau quand on est décidé à se laisser mourir, comme autrefois Anaxagore. N’ai-je pas lu que Périclès vint trop tard ?… Vous aussi,