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l’albâtre, teintes jaunies comme celles d’un beau marbre lavé trop longtemps par les pluies. Dans l’ombre projetée par les persiennes entr’ouvertes, sa forte tête dont ses cheveux bruns, tordus à la Niobé, étaient le seul ornement, se moulait avec énergie sur la boiserie blanche des lambris qu’elle avait derrière elle. Allan était assis sur le divan, à ses côtés, un bandeau noir au front, sombre couronne sur le clair de ses cheveux châtains et qui donnait à sa physionomie quelque chose de froncé, de mutin et de fragile tout ensemble, dont le charme était irrésistible. Elle allait y résister cependant. Même la Beauté, madame de Scudemor ne la voyait plus ! Pour toute autre femme que pour cette grande Revenue de tout, pour ce spectre d’avant la mort, rôdant on ne savait pourquoi dans la vie, cet adolescent d’une figure enchanteresse aurait été d’une séduction infinie… C’était l’heure si perfide et si belle que Dieu créa pour le bonheur ou le malheur suprêmes. Le soleil baisait du bout de son dernier rayon les rideaux en velours incarnat de la fenêtre, et l’horizon apparaissait, à travers les barres de la persienne, inondé de cette vapeur rose qui semble le reflet, au ciel, de toutes les pudeurs voilées et des secrètes voluptés de la terre, à cette heure suave et recueillie. Des fleurs mouraient dans de longs vases au fond du salon. Le piano était ouvert, et ils causaient, et, quoique ce fût à mi-voix, souvent une vibration trahissait ce qu’ils se disaient tout bas sous le plafond sonore de ce grand appartement vide.

Que se disaient-ils ainsi tous les deux ? Pour la première fois de sa vie, Allan, inspiré par les mystères de l’heure et de l’ombre, sous les persiennes, par ces exhalaisons de fleurs mourantes et les impatiences longtemps contenues