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que ses sens n’avaient jamais effleuré ces plaisirs, dont l’accoutumance enlève si vite l’enivrement et le charme. Plus sa jeune force lui revenait chaque jour, plus il oubliait tout ce qu’il savait de cette femme pour ne se préoccuper que de ce qu’il n’en savait pas… Ce n’était pas seulement la convalescence qui alanguissait sa démarche ; ce n’était pas seulement un reste de fièvre qui lui tiédissait le fond des mains. Il y avait une vie concentrée et sans rayons dans ces yeux chargés des désirs d’une volupté inquiète. Chose singulière ! aux rares instants où, en regardant madame de Scudemor, il imaginait la vie autrefois passionnée de cette femme, qui ne l’aimait pas, les tableaux qu’il se retraçait donnaient à ses désirs une nouvelle furie. Rien n’est délirant comme cette jalousie qui broyé des cantharides dans ses poisons.

Un soir, dans ce salon où madame de Scudemor avait donné à Allan, au milieu du monde, ce rendez-vous dont les suites furent si inattendues pour lui et pour elle, ils étaient tous deux seuls. Quel changement avait amené les trois semaines qui venaient de s’écouler ! même dans ce vaste salon, plein et bruyant alors, maintenant muet, et qui paraissait d’autant plus spacieux qu’Allan et madame de Scudemor en occupaient un des angles. Madame de Scudemor était assise alors sur le divan, toujours monumentale, toujours droite, toujours rectangulaire, toujours majestueuse. Elle était vêtue d’une simple robe de satin noir, attachée très bas aux épaules et sans dentelles. Ces épaules, larges et parfaites de forme, gagnaient encore à être vues dans le noir luisant du satin. Cependant, en sortant de la robe, qui aurait dû en relever la blancheur, elles avaient de ces teintes plus humaines que les mates et éblouissantes de