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les liens, par la mort de ces passions imbéciles qui les acceptent. Mais une semaine a suffi pour faire justice de ces vues trompeuses. Une semaine a suffi pour m’éclairer sur une pitié que je méprisais. Orgueil humilié, volonté trahie, on sent une invisible main qui tout courbe au dedans de nos âmes, et le sentiment dont on croyait le plus disposer comme d’une largesse, c’est lui qui, malgré sa place furtive en nos cœurs, dispose et fait largesse de nous !

Allan, Allan, on ne traite point les passions comme les maladies, et les moralistes, qui conseillent au lieu de scruter, sont des myopes ou des imposteurs. Quand la Volonté, plus intime que la passion même, ne la prend pas à la gorge pour l’étouffer ; quand elle se ravale à n’être plus que le petit chien dans la cage du lion, on peut désespérer de la créature humaine toute entière, car il n’a été donné qu’à elle seule de se tirer d’un pareil danger. En vain ce qu’il y a de plus noble et de plus dévoué en nous se prendrait-il de la plus immense sympathie pour l’être qui donne sa vie à une passion, et lui prodiguerait-il les conseils d’une sagesse divine, la passion et la raison n’ont pas été faites de la même terre : l’une est du limon humain, et l’autre, la substance de Dieu même, et il n’y a pas de médiateur possible entre elles deux, pas même la pitié !

Cependant, quand la pitié existe, et d’autant plus forte et d’autant plus vive que la souffrance de l’être qu’on voudrait guérir vient de nous, que reste-t-il à faire, Allan ?… Voilà plusieurs jours, mon ami, que j’ai agité cette question au bord de votre lit d’agonie, et vous savez maintenant comme je l’ai résolue. Je me suis dit qu’il fallait être dévouée jusqu’au bout ; que puisque la femme n’échappait