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vrage l’Histoire de la Société française pendant la Révolution[1], ils n’ont pas craint d’aborder pour leur début un de ces sujets dont l’importance et la difficulté eussent pu désespérer beaucoup d’esprits d’une vigueur déjà éprouvée. Quant à eux, conscrits historiens, ils n’ont pas seulement hésité. Frères par la pensée comme par le sang, espèces de Ménechmes littéraires, tellement semblables (du moins quand on les lit) qu’on ne sait plus où l’un finit et où l’autre commence, et qu’ils semblent n’avoir à eux deux qu’une seule plume et qu’un même cerveau, MM. de Goncourt, pleins de confiance en eux-mêmes, par amour fraternel sans doute, — ce qui les préserve de la fatuité, — se sont dit un beau jour, après avoir collectionné des anecdotes et jeté l’épervier dans les courants les plus ignorés du renseignement, qu’ils étaient en mesure d’écrire cette œuvre immense, de détails concentrés et d’ensemble, que l’on appelle l’histoire d’une société. L’histoire d’une société, grand Dieu ! c’est-à-dire l’histoire de ce qu’il y a de plus profond, de plus fin, de plus ondoyant et de plus nuancé dans la vie et le passé d’un peuple ! L’histoire politique, appuyée sur ses faits officiels, est aisée et grossière en comparaison. L’histoire d’une société, c’est-à-dire l’histoire des idées, des sentiments et des influences, qui font les mœurs et qui les changent, et, pour tout

  1. Dentu.