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peut très bien se ranger sur les tablettes d’un homme de goût, entre les Mémoires du duc de Saint-Simon et les Lettres de madame de Sévigné ? Rien que cela !

Un tel jugement, empreint de l’idolâtrie du commentateur, un tel jugement inexplicable, venant de Paulin Paris qui est fait pour mieux que pour lécher des manuscrits et soigner la toilette de l’enfant des autres, une critique grave et consciencieuse n’y saurait condescendre, et elle croit devoir le relever. Assurément, Tallemant des Réaux ne mérite pas l’honneur qu’on lui fait on ne sait pourquoi. Selon nous qui venons de le relire, c’est un écrivain sans vue et sans style, et nous défions Paris lui-même de citer de lui une page ou une phrase qui soit timbrée de cette marque indéniable et si facile à reconnaître qu’on appelle (quelle qu’en soit la force ou la faiblesse) le génie de l’écrivain. À ne le prendre que pour ce qu’il est, un anecdotier, moitié perroquet et moitié pie, un caquet-bonbec historique qui fit toute sa vie métier et marchandise de propos libertins et de sales nouvelles, il n’y a trace ni d’imagination ni de goût dans sa façon de raconter l’anecdote. Il ne l’enlève, ni ne la creuse, ni ne la voile ; il la dit comme la dirait M. Orgon ou madame Pernelle, — tout platement, comme on la lui a racontée. Il ne la choisit point. Il ne la filtre pas. Il ne sait ni la verser ni la déguster. Dépravé par l’habitude du commérage, il ne le recherche point pour ce qu’il peut avoir de piquant et d’inattendu, il l’aime