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cette rude tâche d’investigation, de comparaison et de critique, qu’on appelle l’histoire d’un pays. Cela dit du fond des choses, resterait le style, cette magie qui, quand on l’a, consacrerait l’erreur même et jetterait son voile d’illusion sur les pauvretés de la pensée et jusque sur les hontes de l’ignorance. Mais Beaumont-Vassy, dont la forme élégante a la pâleur diplomatique, n’a pas littérairement beaucoup plus de style que cette foule d’écrivains qui, au XIXe siècle, savent jeter une phrase dans le moule banal où tout le monde peut aller faire fondre son morceau de plomb… Évidemment, pour que des livres pareils soient lus avec avidité, il faut qu’il y ait absence complète d’œuvres historiques sur la Russie, et, de fait, il n’y en a pas.

Non ! pas même en Russie. Or, s’il n’y en a pas en Russie, il n’y a pas d’histoire de Russie en Europe, car l’histoire d’une nation commence toujours de s’écrire entre ses quatre frontières. Quand on l’écrit au-delà, on l’écrit du dehors au dedans, on est dupe de la perspective, on ne sait qu’à peu près les choses ; on l’écrit à l’usage d’un dauphin quelconque (ad usum Delphini). Mais ce qui est l’histoire dans sa partie intime, profonde, indiscrète, on l’ignore. Par tout pays, mais principalement en Russie, ce ne sont pas les notoriétés bien établies qui font l’histoire, ce sont les indiscrétions : or, les indiscrétions y sont impossibles.

Qui oserait écrire des Mémoires à Saint-Pétersbourg ? Tout y est silencieux comme autrefois à Ve-