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prise, et, qui plus est, il l’a faite, et il l’a faite intéressante ! Il a tiré son marquis de Grignan de sa poussière de marquis, et il nous a montré le rien historique de cet homme, qui ne fut rien par lui-même, quoique par sa naissance, son éducation, tout son être, et par la plénitude de son dévouement au roi du monde d’alors, il fût parfaitement apte à être tout, et qui vécut si peu, a dit éloquemment Frédéric Masson dans les admirables pages qui commencent son livre, qu’on ne peut pas dire qu’il mourut, mais qu’il décéda : une manière silencieuse de s’en aller et de disparaître ! Né viable pourtant, ce Grignan ! Il était entré dans la vie par la plus large, la plus triomphale, la plus appienne des grandes naissances… La race dont il descendait était presque royale à force d’être féodale, et elle gouvernait la Provence depuis des siècles. Aussi à son baptême l’appela-t-on Provence. Il s’appelait Louis-Provence d’Adhémar de Monteil de Grignan (Monteil, c’est Montélimart). Il n’était pas que des Croisades ! Il n’était pas que du Poème du Tasse ! Il était de l’an mil, et de plus loin que l’an mil, cette année de la fin du monde ! Il en était du commencement. Né avec un terrible défaut à la taille, comme le duc de Bourgogne, cet autre grand bossu aux jambes sublimes, on lui mit dans son enfance un corset de fer pour le redresser et on le suspendit par un clou comme un Polichinelle à la muraille pour lui faire rentrer sa bosse, à force de mur ; ce qui ne l’empêcha, du reste,