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cher les mérites de la centralisation administrative à la Révolution, qui l’outra, et à l’Empereur Napoléon, qui l’organisa, est-il, oui ou non, pour l’ancien Régime ?… Il est impossible de le savoir. Les vues les plus contraires s’entre-choquent dans son ouvrage, où pas un mot n’est défini et où l’auteur reste suspendu entre deux antithèses, comme le cercueil de Mahomet entre le pavé et la voûte. L’esprit de Tocqueville n’est pas assez étendu pour fournir sur toutes les idées qu’on peut discuter. Mais il a toujours celles qui s’excluent. Son livre est un kaléidoscope qui se retourne de deux manières et qui donne toujours les deux mêmes combinaisons. Quand il juge les gens de lettres qui furent les aumôniers des sociétés secrètes et qui prêchèrent la révolution sur et sous les toits, il s’écrie : « Ils croyaient en eux. C’était admirable ! » Et il applaudit. Mais, continue-t-il : « Après qu’ils eurent « tout renversé, nous eûmes des révolutionnaires qui « portèrent l’audace jusqu’à la folie, qu’aucun scru « pule ne put retenir, etc., etc. » Et il n’applaudit plus, avec les mêmes raisons d’admirer pourtant ! Cet exemple, qu’on peut multiplier, en prenant toutes ses assertions les unes après les autres, donnera une idée de l’assiette de ce ferme esprit, de la force d’Œdipe de cet investigateur de l’histoire, qui trouve que le Sphinx a trop peu d’une tête et qui lui en met deux !