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vertige par sa sublimité, Tocqueville est allé, nous dit-il encore, « interroger dans son tombeau la France qui « n’est plus ». C’était le bon moyen, en effet, d’apprendre ce qu’il ignorait ou d’assurer ce qu’il croyait savoir. Seulement, nous disons qu’il n’a pas creusé dans cette tombe. Il a pu gratter la pierre du sépulcre, mais il n’a pas pénétré dans sa profondeur.

Il a pris l’ancien Régime à sa dernière heure, dans son expression la plus équivoque et dans son millésime le plus flottant, sans dire où, pour lui, cet ancien Régime commençait, et il n’a pas su en déterminer ni les altérations survenues ni les caractères subsistants. Homme de formalisme politique qui a tout vu dans certaines formes extérieures, comme si l’âme de la politique était là, la ressemblance l’a fait croire à l’identité. Ainsi, parce que la centralisation administrative existait en un certain degré sous l’ancienne monarchie, il s’est imaginé que cette centralisation était une institution de l’ancien Régime, et non plus l’œuvre de la Révolution et de l’Empire. Il a fermé volontairement les yeux à un état des choses qui a reçu son accomplissement absolu de la main d’un homme qu’il lui coûte de louer à cette heure, et il a tout attribué de l’ordre administratif à l’ancien Régime : la justice, la tutelle, et jusqu’à la garantie des fonctionnaires ! Cette idée, la master-piece de son livre, est résumée dans l’avant-dernier chapitre, et voilà surtout (nous dit-il dans le chapitre suivant) d’où la Révolution est