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C’est ce qu’il importe de ne pas perdre de vue quand on juge Brummell. Il était avant tout un Dandy, et il ne s’agit que de sa puissance. Singulière tyrannie qui ne révoltait pas ! ― Comme tous les Dandys, il aimait encore mieux étonner que plaire : préférence très humaine, mais qui mène loin les hommes ; car le plus beau des étonnements, c’est l’épouvante. Sur cette pente, où s’arrêter ? Brummell le savait seul. Il versait à doses parfaitement égales la terreur et la sympathie, et il en composait le philtre magique de son influence. Son indolence ne lui permettait pas d’avoir de la verve, parce qu’avoir de la verve, c’est se passionner ; se passionner, c’est tenir à quelque chose, et tenir à quelque chose, c’est se montrer inférieur ; mais de sang-froid il avait du trait, comme nous disons en France. Il était mordant dans sa conversation autant qu’Hazlitt dans ses écrits. Ses mots crucifiaient[1] ; seulement, son impertinence avait trop

  1. Il ne les lançait pas, mais il les laissait tomber. L’esprit des Dandys ne frétille et ne pétille jamais. Il n’a point les mouvements de vif-argent et de flamme de celui d’un Casanova, par exemple, ou d’un Beaumarchais ; car, par rencontre, il trouverait les mêmes mots qu’il les prononcerait autrement. Les Dandys ont beau représenter le caprice d’une société classée et symétrique,