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que tout ce que j’avais entendu dire sur le naturel dans le mensonge attribué aux femmes, — sur la force de masque qu’elles peuvent mettre à leurs plus violentes ou leurs plus profondes émotions. Songez donc ! elle avait dix-huit ans ! Les avait-elle même ?… Elle sortait d’une pension que je n’avais aucune raison pour suspecter, avec la moralité et la piété de la mère qui l’avait choisie pour son enfant. Cette absence de tout embarras, disons le mot, ce manque absolu de pudeur, cette domination aisée sur soi-même en faisant les choses les plus imprudentes, les plus dangereuses pour une jeune fille, chez laquelle pas un geste, pas un regard n’avait prévenu l’homme auquel elle se livrait par une si monstrueuse avance, tout cela me montait au cerveau et apparaissait nettement à mon esprit, malgré le bouleversement de mes sensations… Mais ni dans ce moment, ni plus tard, je ne m’arrêtai à philosopher là-dessus. Je ne me donnai pas d’horreur factice pour la conduite de cette fille d’une si effrayante précocité dans le mal. D’ailleurs, ce n’est pas à l’âge que j’avais, ni même beaucoup plus tard, qu’on croit dépravée la femme qui — au premier coup d’œil — se jette à vous ! On est presque disposé à trouver cela tout simple, au contraire, et si on dit : « La pauvre femme ! » c’est déjà beaucoup de mo-