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— Elle ne pourrait être que sa femme, — répondit tranquillement l’ambassadeur. — Mais, il y a presque deux ans que la duchesse est comme si elle était morte. Elle a disparu, sans qu’on sache pourquoi ni comment elle a disparu : — la vérité est un profond mystère ! Figurez-vous bien que l’imposante duchesse d’Arcos de Sierra-Leone n’était pas une femme de ce temps-ci, une de ces femmes à folies, qu’un amant enlève. C’était une femme aussi hautaine pour le moins que le duc son mari, qui est bien le plus orgueilleux des Ricos hombres de toute l’Espagne. De plus, elle était pieuse, pieuse d’une piété quasi monastique. Elle n’a jamais vécu qu’à Sierra-Leone, un désert de marbre rouge, où les aigles, s’il y en a, doivent tomber asphyxiés d’ennui de leurs pics ! Un jour, elle en a disparu, et jamais on n’a pu retrouver sa trace. Depuis ce temps-là, le duc, un homme du temps de Charles-Quint, à qui personne n’a jamais osé poser la moindre question, est venu habiter Madrid, et n’y a pas plus parlé de sa femme et de sa disparition que si elle n’avait jamais existé. C’était, en son nom, une Turre-Cremata, la dernière des Turre-Cremata, de la branche d’Italie.

— C’est bien cela, — interrompit le joueur, Et il regarda ce qu’il avait écrit sur un des feuillets de son calepin d’écaille. — Eh bien !  — ajouta-