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charmante de la nature humaine ; mais ceux qui connaissent la vie savent mieux le profit que ce serait. Tressignies se dit avec effroi qu’il allait peut-être se retrouver trop jeune… et voilà pourquoi il se promit de ne plus mettre le pied chez la duchesse, malgré l’intérêt, ou plutôt à cause de l’intérêt que cette femme inouïe lui infligeait. « Pourquoi, se dit-il, retourner dans ce lieu malsain d’infection, au fond duquel une créature de haute origine s’est volontairement précipitée ? Elle m’a conté toute sa vie, et je peux imaginer sans effort les détails, qui ne peuvent changer, de cette horrible vie de chaque jour. » Telle fut la résolution de Tressignies, prise énergiquement au coin du feu, dans la solitude de sa chambre. Il s’y calfeutra quelque temps contre les choses et les distractions du dehors, tête à tête avec les impressions et les souvenirs d’une soirée que son esprit ne pouvait s’empêcher de savourer, comme un poème étrange et tout-puissant auquel il n’avait rien lu de comparable, ni dans Byron, ni dans Shakespeare, ses deux poètes favoris. Aussi passa-t-il bien des heures, accoudé aux bras de son fauteuil, à feuilleter rêveusement en lui les pages toujours ouvertes de ce poème d’une hideuse énergie. Ce fut là un lotus qui lui fit oublier les salons de Paris, — sa patrie. Il lui fallut même le coup de